La bibliothèque du beau et du mal
Bienvenus dans le Berlin décadent de l’entre-deux guerres, épicentre de toutes les débauches (p111). Marlène Dietrich s’agenouille volontiers devant les puissants, Leni Riefenstahl taquine le grand écran et les catins pullulent, conscientes que leur salut viendra de leur cul.
De ce côté du Rhin, les sacrifices n’ont mené à rien. Nietzche a raison, « Dieu est mort », on fera sans lui. C’est la devise de Walter, un dandy, un cocaïnomane, obsédé par l’extravagante bibliothèque qu’il a héritée de son grand-père.
Il y découvre des horreurs et des beautés, persuadés que ces deux mots sont intimement liés. Que penser de ce volume du Marquis de Sade, couvert d’un cuir fait dans la peau d’une aristocrate guillotinée (« Pour qu’un objet ordinaire devienne une œuvre extraordinaire, nous devons occulter notre sens de la morale ») ? Et pourquoi s’entiche-t-il soudain de ces fleurs du mal, tatouées entre les seins d’une dévergondée ?
Berlin est un fumier sur lequel s’épanouissent quelques roses mais à mesure que l’ordre vient à manquer, un danger plus redoutable fait irruption. Il est des monstres que l’apparente laideur répugne, que l’altérité peut révulser. On préfère les œuvres rectilignes, la symétrie, aux affreuses grimaces du Cranach. On se dit qu’au nom d’une certaine conception du bien, le mal est nécessaire. Au terme de la discussion qui l’oppose à Rudolph Hess (p263), l’amant de sa sœur, Walter comprend que bientôt le monde sombrera.
Ce roman est une petite merveille, qui renforce ma conviction : il n’y a pas de beauté sans imperfection, et il plaît au mal de s’y dissimuler.
Bilan : 🌹🌹