Em
On a tous en mémoire les images d’un hélicoptère qui décolle en catastrophe d’un toit de Saïgon, avec à son bord deux fois le nombre de passagers autorisé. Malheurs à ceux qui sont restés, la résistance nord-vietnamienne les a châtiés.
Et ceux qui ont abandonné leur terre pour se donner un futur, que sont-ils devenus ? C’est le sujet principal du très beau livre de Kim Thúy. Des premières échauffourées à la débâcle finale, l’auteure suit les pas des enfants métis, nés de soldats américains, que leur couleur de peau trahit et qu’on tolère comme un mal nécessaire. Ils traversent les horreurs de la guerre, résistent à la misère, infusent la société comme ces mots étrangers, français ou anglais, qui s’immiscent dans la langue du pays. On suit les trajectoires de Mai, de Tâm, d’Em ou de Louis. Leur émouvantes épopée est le prétexte à des rappels historiques déconcertants, comme l’opération « Babylift » voulu par le président Ford (rapatriement des bébés nés de GI’s) ou l’acharnement de l’occupant à défolier la forêt, condamnant ainsi des générations entières au cancer ou à la malformation physique.
Ce fut une guerre immonde (l’éloquence des chiffres p145) dont l’auteure résume l’absurdité par cet accablant constat : « j’ai évité de vous attrister (…) avec le document qui présente les raisons pour lesquelles il fallait continuer la guerre 1) 10% pour la démocratie 2) 10% pour prêter main forte au Vietnam du Sud 3) 80% pour éviter l’humiliation ».
Les rescapés qui ont rallié les USA sont devenus docteurs, hommes d’affaire ou très souvent, patronnes d’un salon de manucure. Et de finir sur cette remarque déchirante : contrairement à ce qu’affirmait son médecin, Tâm n’est pas décédée de la trop grande inhalation des vernis qu’elle utilisait dans son salon mais des effets tardifs de l’agent orange.
Notre imaginaire est pollué par les très nombreux films consacrés à la guerre du Vietnam, pourtant, Kim Thúy réussit à l’évoquer d’une voix singulière.
Bilan : 🌹🌹