Dans les bagnes du tsar
J’avais choisi cet ouvrage parce que je n’avais encore jamais lu de traduction du yiddish et que le sujet, les bagnes du Tsar, est original. La littérature de captivité est abondante, qu’elle évoque les goulags soviétiques ou les camps de concentration nazis. J’avais été marquée par les livres d’Alexandre Soljenitsyne, d’Oleg Volkov, de Jacques Rossi, de Primo Lévi, d’Imre Kertész et de Jorge Semprun. Ce sont des récits qui vous prennent aux tripes parce qu’ils racontent des hommes exposés à des conditions extrêmes. Il en ressort des réactions et des sentiments tout aussi extrêmes (ex : p99, p314). C’est pour cette raison que les écrivains affectionnent le sujet : pour son exceptionnel pouvoir narratif. Leivik témoigne d’une période qui précède les horreurs des deux guerres mondiales. Entre ses lignes, l’humanité est encore sauve. Les conditions de détention sont difficiles. On a les fers aux pieds, on subit les privations et les humiliations, on peut mourir du typhus. Et pourtant, l’humanité affleure. Il y a ce gardien qui désobéit à son chef par compassion, ce médecin qui distribue clandestinement les oranges (p278), tous ces gestes qui démontrent un amour du prochain que la folie politique n’a pas totalement annihilé. Les hommes écrivent des poèmes, interrogent leur foi ou la cause révolutionnaire (p176) qu’ils ont suivie. Les prisonniers politiques, tentés par le terrorisme, doutent de la violence (p215) en fréquentant les prisonniers de droit commun dont la barbarie les effraie. Il y a encore de la retenue chez ces condamnés, un questionnement permanent. On mesure - par comparaison - l’emballement qui a suivi, l’irrationalité qui a gagné les âmes les plus simples et les intelligences les plus vives, pour mener le monde à la plus grande catastrophe de son histoire. Dans l’ouvrage du révolutionnaire juif Leivick, l’homme domine ses idées, il est encore maître de ses pulsions. Malgré quelques longueurs sur les routes de Sibérie, c’est pour moi un livre essentiel.
Bilan : 🌹🌹