Vie de Gérard Fulmar
Ah, la prose d’Echenoz ! L’anti-héros, Gérard Fulmard est une sorte de Pierre Richard entraîné dans des évènements qui le dépassent. Les choses se font à son insu, souvent à son détriment, mais sans jamais l’atteindre, comme dans un dessin animé. Même pas mort ! Il est là le ressort narratif, moqueur et bondissant, dans le contraste entre un personnage maladroit et des circonstances dramatiques, d’une improbable gravité (la chute d’une météorite sur un supermarché, le décès d’une pin-up croquée par un requin blanc suite à l’égratignure de son doigt). L’auteur s’amuse, dialogue parfois avec le lecteur, se distancie de son récit pour en allonger le sarcasme. Le roman d’Echenoz est un bonheur de lecture parce que sa langue est belle et sophistiquée, que son observation des petits riens du quotidien est jouissive (excellence des litotes et des euphémismes), que sa satire de notre société est irrésistible et que ses descriptions des personnages ou des décors relèvent du grand art (Exemple : « Rassurante autant que majestueuse, non moins autoritaire que bienveillante, la moustache de Franck Terrail ne relève pas de l’assertorique mais de l’apodictique »). On ricane, on apprend des mots nouveaux, on émarge les aphorismes. Cela fait oublier l’obsolescence du sujet (luttes intestines dans un parti politique), l’absurdité des situations et la légèreté de l’intrigue. Voilà un texte qui, signé par un inconnu, serait immédiatement recalé : confusion des personnages, manque de crédibilité, inconsistance de certains personnages secondaires, et j’en passe. Oui mais voilà, c’est Jean Échenoz, et c’est un virtuose. Alors qu’importe, pour la beauté de son style, on le suivrait au bout de ses délires.
Bilan : 🌹🌹