Par les routes
Le roman de Sylvain Prudhomme est un émerveillement constant. La fonction de l’écrivain n’est-elle pas de se rebeller contre le désenchantement ? De nous ouvrir les yeux ? De nous montrer la ligne d’horizon cachée derrière la colline ? Abandonnez-vous, prenez les chemins de traverse, faites confiance à des inconnus, laissez-vous submerger par l’altérité. Pour traduire cette vision de l’existence, y avait-il plus belle métaphore que l’auto-stop, à la merci d’un hasard qui fait si bien les choses ? La vie est un voyage dont on connaît la funeste destination. Partir pour le plaisir de partir, comme un marin ou un montagnard, c’est une manière de conjurer la fatalité. C’est aussi l’éloge du « pourquoi pas », du « on verra bien » dans une société formatée par l’utile et l’agréable à tous prix - au mépris de soi. Ce roman est porté par le souffle de la liberté. Il m’a rappelé « L’homme Dé » (Luke Rhinehart) et sa lutte désespérée contre le déterminisme et le conformisme, le cynisme en moins, et la poésie en plus. Il est rare qu’un roman m’hypnotise à ce point, que j’en rate une station de métro, que j’en oublie des rendez-vous. Le héros, « l’auto-stoppeur », n’a pas de nom, il n’a qu’une obsession : courir le monde, sans intention particulière. Avec Blablacar, on choisit son conducteur (p38), et sur les réseaux sociaux, l’interlocuteur est présélectionné par l’algorithme (p234) mais quand on fait de l’auto-stop, on ne sait jamais sur qui on tombe. C’est la beauté de l’aléa. Comment cette quête éperdue allait-elle finir ? N’allais-je pas être déçue ? Bien au contraire, le final est magnifique. Il justifie tous les égarements, toutes les absences, tous les silences de l’auto-stoppeur. Et cette chanson de Gérard Manset qui court dans ma tête : « il voyage en solitaire, nul ne l’oblige à le faire… »
Bilan : 🌹🌹🌹