Avant que j'oublie
Voici un excellent premier roman. Comme souvent, c’est un premier roman autobiographique, chargé d’intimité, où l’émotion affleure. Mais à la différence de beaucoup de premiers romans, Anne Pauly n’a pas voulu « tout donner ». Sa sensibilité sert le récit, et non l’inverse. Le risque était pourtant grand car elle a choisi d’évoquer la disparition de son père. Anne Pauly danse avec sa mort dans une valse à trois temps : le décès, l’enterrement et le deuil. Ses descriptions de l’hôpital, de la morgue, des pompes funèbres, de la messe et de l’enterrement sont justes, parfois aigre douces. Tantôt elle pleure, tantôt elle rit jaune, découvre ses canines et mord. La lassitude du personnel hospitalier, l’hypocrisie des fêtes de famille, l’absurdité de la liturgie catholique, elle n’épargne rien ni personne, sans méchanceté mais avec un aplomb salvateur. On a tous perdu un proche et traversé des épreuves similaires. Anne Pauly nous rejoue ce requiem avec finesse et met des notes sur nos chagrins. Les pages consacrées au deuil sont magnifiques. Notamment quand elle fait l’inventaire des souvenirs ; l’être aimé parti, il se réincarne dans les objets qui lui ont appartenu (p100). Quand elle décide d’enregistrer les bruits de fond de la maison où il a vécu, le décor sonore de sa vie (p97) ; quelle merveilleuse idée ! Quand elle décrit les manies du défunt qui, pour préserver sa santé mentale, répertoriait des tas de trucs comme d’autres font des mots croisés ou du Sudoku, ou se refusait à jeter les choses parce qu’il avait l’impression de s’amputer un peu plus. Et puis, il y a Juliette, l’amie d’enfance. Ses paroles et ses lettres exposent la maladresse du père, son humour, son narcissisme, et cette pudeur mal placée qui l’empêcha de dire ouvertement à ses enfants qu’il les aimait à la folie. Ce serait un beau Goncourt des lycéens.
Bilan : 🌹🌹