Un monstre et un chaos
C’est, pour moi, un des évènements de cette rentrée littéraire. On y retrouve la verve, la précision et la générosité du grand écrivain, qui s’est pourtant attaqué à un sujet sensible et souvent traité : la Shoah. Il y a une interrogation récurrente dans ce livre : pourquoi les juifs ne se sont pas davantage défendus, révoltés, insurgés contre l’oppresseur ? Un élément de réponse : « Les siens ne disposaient que d’un Dieu sans visage, les autres avaient un Führer » (p141). La constitution du Ghetto de Lodz au chapitre 19 est fascinante. Composer avec l’ennemi ? En 1939, ce n’est pas encore de la lâcheté, c’est du bon sens. Les représentants du peuple juif doutent. Le doute est signe d’intelligence et d’humanité. En face, les nazis ne doutent pas. Commettre un génocide au nom d’une théorie rédigée par un peintre raté ? Ils ont été au bout de leur folie, et l’histoire se demande encore comment cela fut possible. Dans le ghetto de Lodz, L’homme du compromis et du déshonneur s’appelle le roi Chaïm. La devise de cet Hérode mégalomane est « Arbeit macht frei », car la force de travail de son peuple (produire pour l’économie allemande) peut assurer le salut de tous, croit-il. Ivre de son pouvoir, collaborateur pour un moindre mal, il pense que « dans un monde en guerre, seul compte la survie du plus grand nombre » (p187). Il s’obstine à nier l’horreur que d’autres (insurrection de Varsovie en 1943) ont comprise avant lui: le ghetto est l’antichambre d’une mort certaine. In fine, Chaïm périt, lui aussi. Avec ce roman brillant, poignant et documenté, Hubert Haddad perpétue magistralement le nécessaire devoir de mémoire.
Bilan : 🌹🌹🌹