Ténèbre
Si vous avez adoré le désespoir et l’ironie de films comme « La victoire en chantant » de Jean-Jacques Annaud ou « Coup de Torchon » de Bertrand Tavernier, alors ce livre est pour vous. Si vous ne vous êtes jamais remis de « Au cœur des ténèbres » (tiens, proximité des titres) de Joseph Conrad, alors ce livre est encore plus pour vous.
Pierre Claes est un géomètre belge à qui le roi Léopold, de triste mémoire, a donné l’ordre d’aller découper les frontières africaines. Il en sortira lui-même découpé. Dans un style bien ciselé, parfois proche de la truculence, Paul Kawczak place le colon blanc devant ses responsabilités historiques. Ce passage, au début du livre, résume à merveille l’esprit du roman : « Toute une civilisation bourgeoise, mâle et malade, étouffée de production, exsangue d’action, faisandée de rêves en chaque crâne, se dépensa avec érotisme et violence dans un fantasme de terre femelle et primitive, de Nouvelle Ève noire à violer dans la nuit blanche (…) ». Crimes et débauche ont jalonné l’indigne conquêtes des blancs du Congo. Pierre Claes ne leur ressemble pas. Il comprend que l’Afrique l’anéantira corps et âme. Avec des scènes hallucinées (p118), des pages où Éros se dispute avec Thanatos (p151) et des descriptions extraordinaires où les paysages du douanier Rousseau perdent brutalement leur naïveté (p199), l’auteur nous fait basculer dans une folie violente et sensuelle. Je suis sortie de ce roman enchantée, groggy, avec l’impression d’avoir voyagé très loin. N’est-ce pas ce qu’on demande au roman ? De vous conduire vers d’autres mondes ?
Bilan : 🌹🌹