Les contemplées
Sitôt arrêtée, une Française est jetée dans la prison pour femmes de La Manouba. Salie, insultée, traînée et traitée comme une criminelle (passages d’une grande intensité pages 28 et 64), elle peine à retrouver ses esprits. Plutôt que de se recroqueviller au fond du pavillon D et d’y pourrir comme un Gollum, elle décide de prendre la vie carcérale à bras-le-corps.
Adepte de la chiromancie, elle attise la curiosité de ses codétenues qui la pressent de leur prédire l’avenir puisque le présent a tout d’un enfer. Elle accueille leurs paroles. Toutes ces femmes ont en commun d’avoir été victimes du patriarcat en vigueur (« D’un pouce dans l’arène, ces petits césars scellent le destin des femmes qu’ils possèdent »). Leur infortune révolte. De quoi sont-elles coupables ? D’avoir été violées trop jeunes ? D’avoir répondu à un mari violent ? D’avoir défié le système ? De ne pas accepter que la religion les instrumentalise ?
De toutes ces femmes, le personnage de « La Cabrane » est le plus mémorable.
La Cabrane, « Tueuse en série en puissance et féministe à sa dangereuse façon, qui n’a jamais été aussi libre que derrière ces barreaux ». La Cabrane condamnée à la tristesse perpétuelle : « Il faut croire qu’Allah lui avait réservé cette vie de mord-la-poussière. Pour elle le programme c’était la main de Fatma dans la gueule, dès le départ ».
La Française en perd ses repères. Les notions du bien et du mal s’entrechoquent. « L’humanité s’est présentée à moi nue, dans ce qu’elle a de plus brut et de plus sincère, sans rien dissimuler de ses contradictions et de ses zones grises (…). »
J’ai toujours dit que le roman autobiographique ne me dérangeait pas, à condition que la vie de l’auteure mérite le détour et force le respect. « Les contemplées » en est l’éclatante démonstration.