Le magicien
Un roman biographique époustouflant.
Un livre que je recommande à quiconque a l’ambition d’écrire. Il en retranscrit bonheurs et tourments, ce sentiment permanent, entre exaltation et déception, d’être le spectateur de son existence et d’en espérer les plus grands évènements (« Il souhaitait vivre intensément les instants affamés qui précédaient cette scène, avec la certitude qu’elle aurait bien lieu »).
Colm Tóibín en exprime admirablement l’oscillation chez Thomas Mann, entre une vie ô combien romanesque et les frustrations d’un homme qui n’a jamais pu s’épanouir, prisonnier de sa sexualité contrariée et de sa célébrité.
Une vie digne d’un roman ! Tous les ingrédients sont réunis. Un frère écrivain à la fois complice et rival, une épouse dont le jumeau le jalouse, des sœurs qui se suicident au comble du remord. Et quelle époque ! La fracture et les balbutiements de l’Europe, la folie nazie (pages lumineuses 472-495), la peur, l’exil, la chasse aux sorcières made in USA et toute une galerie de personnalités qu’on a plaisir à voir ressuscitées, d’Einstein à Schönberg.
Colm Tóibín réinvente le portrait d’un Thomas Mann taciturne, s’isolant du monde au point de rendre ses silences intolérables mais aussi père attentif, généreux de son argent plus que de son temps, ravi de voir ses enfants braver les interdits.
On assiste à la naissance de l’écrivain, de sa jeunesse à Lübeck (qui donnera matière à « Les Buddenbrook ») à ses visites au sanatorium de Davos (genèse de « La montagne magique ») en passant par son séjour dans la lagune qui lui inspira « La mort à Venise » (« Il allait associer le désir de l’homme vieillissant à une atmosphère de maladie et de décomposition »).
« Le magicien » est un roman éclairant, émouvant, proche de la perfection.
Bilan : 🌹🌹🌹