Le bastion des larmes
Je me souviens d’un voyage à Tanger, d’un thé à la menthe siroté sur la terrasse du café Hafa. À quelques tables de moi, un groupe de jeunes hommes obligeait un enfant à se trémousser comme une danseuse du ventre, tel un bacha bazi. Le spectacle était obscène, il me hanta jusque dans les rues de la médina où j’interrogeais du regard les gamins que je croisais.
Abdellah Taïa a fait revivre mon malaise, rappelant, page 137, que : « Nous sommes au Maroc. Ici, les enfants appartiennent à tout le monde ». Comme Najib et Youssef, les protagonistes de son roman, que leur caractère efféminé, leur innocence et la lâcheté de leurs familles condamnent au viol et à l’humiliation. L’un s’exile à Paris, où l’homosexualité n’est plus une tare. L’autre devient l’amant d’un militaire corrompu (le zamel de Hay Salam), que le trafic de drogue a enrichi. Tous deux reviendront à Salé, pour enterrer leurs souvenirs et se venger d’un entourage étouffé par l’hypocrisie et la cupidité.
Le récit d’Abdellah Taïa est poignant, sans fard, parfois choquant (p56, p138), mû par la volonté d’exposer les plaies d’une société où les pauvres n’ont d’autre choix que de s’incliner devant le vice et l’autorité.
Dans le roman d’Abdellah Taïa, celles et ceux qui portent le visage de la honte ont l’âme pure et fracassée. À n’en pas douter, les putes et les pédés valent mieux que les imams et les gradés.
Petite tendresse pour le passage où Youssef découvre aux côtés de ses cinq sœurs l’acteur Omar Sharif, désirable et charismatique dans un mélo égyptien pur cru.
Bilan :🌹🌹