L'éducation occidentale
Une phrase de 150 pages pour détailler les phases d’une autopsie géante, puzzle morbide dont Ona devra échantillonner les pièces éparses, corps démembrés ou composants d’explosifs. Pièces à conviction d’un attentat terroriste perpétué sur l’affolé marché d’Abouja. L’observation du carnage est crue, privée d’émotion. À l’exception, peut-être, de cette tête décapitée qu’Ona reconnaît. Son chauffeur. Que fait-il là ? Il faudra tout « reconstituer ».
Boris Le Roy décrit l’horreur telle qu’elle est, parce que la censure qui sévit à notre époque dénature les massacres, en efface l’humanité pour tout archiver, détourner les regards, passer à autre chose. En anglais, quand les images sont trop explicites et susceptibles de choquer, on dit qu’elles sont « graphic ». Boris le Roy va plus loin que le « graphic », puisant dans tous les registres. Les chairs meurtries sont dépeintes à la manière de Francis Bacon, du Caravage… ou de Pollock, si j’osais. Il est là l’intéressant paradoxe : en décrivant la barbarie de manière clinique, il rend aux victimes la dignité que le dégoût et le déni communs leur enlèvent. Il n’y a pas de guerre propre. L’expression « frappe chirurgicale », par exemple, est une aberration linguistique, complice de son auteur. Idem pour l’attentat kamikaze : il faut exposer pour ne pas banaliser.
Ce livre, quelquefois éprouvant (âmes sensibles s’abstenir), montre que le roman, lui seul, peut devenir un témoin objectif du malheur. J’ai aussi admiré la manière dont la forme (une prose telle une trajectoire de balle) sert le propos de l’auteur. Dans les pas d’Ona, en la suivant dans sa terrible besogne, on apprend beaucoup sur le Nigéria et le terrorisme qui le gangrène. Autant de digressions, de parenthèses, qui permettent de reprendre son souffle.
Bilan : 🌹🌹