La soustraction des possibles
C’est un peu « le bûcher des vanités » dans sa version francophone. New York devient Genève mais l’argent est y toujours ce roi sans partage. L’époque, les années 90 et la fin de l’empire soviétique, hystérise les comportements, excite les appétits, avilit les instincts. Joseph Incardona sait planter un décor, introduire un personnage, provoquer une tension. En quelques lignes, on agrippe les fils des marionnettes, d’autant qu’il s’amuse à nous expliquer comment il les manipule. Ce dialogue avec le lecteur pourrait s’avérer déroutant. Il est savoureux. Mais tout n’est pas parfait. Les ficelles sont un peu grosses, parfois. Je ne suis pas friande des formules telles que « nous en étions là quand… », « sauf que... », « oui mais voilà… », ça donne l’impression diffuse que l’écrivain se fatigue à raconter.
J’ai aimé la première partie du livre, quand les vanités s’installent. Incardona fait un portrait au vitriol de ce monde de la finance où seuls les carnassiers prospèrent, où le crime n’est jamais loin du profit. Avec un peu de tendresse et beaucoup de cruauté, il dépeint la riche ménopausée, la jeune ambitieuse, le gigolo frustré ou le banquier cynique. Son tableau est d’un réalisme stupéfiant.
J’ai été moins convaincue par la deuxième partie du livre, quand les vanités des protagonistes s’entrechoquent, quand le dénouement approche et que la testostérone de l’auteur finit par gâter son style et faire douter de la finesse qui semblait le caractériser jusque-là. En 2019, on ne devrait plus lire qu’un homme pénètre une femme sans préliminaire tellement elle mouille. On dirait du Gérard De Villiers. « La Soustraction des possibles » est un roman haletant, truffé de scènes d’anthologie, mené tambour battant. Un livre parfait pour l’été.
Bilan : 🌹