De notre monde emporté
J’aime les romans qui racontent un pan oublié de l’histoire contemporaine. Qui se souvient des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer ? Qui se rappelle des victimes de l’amiante ? Christian Astolfi.
Il nous embarque dans un récit fort et lucide, à la rencontre des hommes qui ont voué leur existence à la « machine », à la construction des géants des mers. Ils se surnomment Narval, Cochise, Filoche, Mangefer ou Barbe (très belles descriptions aux pages 13, 18 et 28). On partage leurs plus grandes espérances (l’arrivée de la gauche au pouvoir) et leurs plus sombres désillusions : la fermeture des chantiers (« J’avais finalement choisi de prendre la prime de départ (…) J’avais l’impression d’être un tueur à gages que l’on payait pour sa propre exécution »).
Ils sont pris de cours. Les uns soufflent le verre, les autres excellent dans la ferronnerie ou l’encadrement. Ils ont quitté leur travail d’équipe et leur confraternité pour des boulots d’artisans solitaires sans se douter qu’une ennemie, plus redoutable encore que le désœuvrement, les attend au tournant de leur vie.
Filoche ne se rendait compte de rien. Il maniait l’amiante avec désinvolture (« Le ramoneur a sa suie, le boulanger sa farine, moi j’ai le chrysotile qui me fait des pellicules »). Tout le monde savait, les pouvoirs publics, les syndicats, les scientifiques. Ils ont sacrifié quelques centaines d’ouvriers plutôt que de stopper la machine économique et d’engager la responsabilité de l’État. Il n’est pas mis en cause, il a pour alliés la lenteur de la justice et la mortalité accélérée des plaignants (« Nous n’avions pas de thérapie à mener. Sinon celle de ne pas oublier d’où nous venions »).
Un roman juste et poignant qui referme le chapitre de l’ère industrielle.
Bilan : 🌹🌹