Une trop bruyante solitude
« Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier… » C’est ainsi que commence chaque chapitre. Hanta est Sisyphe, le papier son rocher. Inlassablement, il travaille au pilon. Bouton rouge, bouton vert, la machine infernale compresse sans distinguer les œuvres des philosophes et les emballages souillés de sang du boucher. Faut-il y voir un funeste avertissement ? Penseur ou bête de somme, il n’y a qu’une fin possible. Hanta n’est pas le bourreau des lettres et des idées. Il en est le sauveur, prélevant ici les beaux ouvrages, sauvant là les chefs d’œuvres oubliés. Il ne peut se résoudre à leur disparition quitte à transformer sa demeure en un dédale de papier et de poussière. C’est un équarisseur éclairé qui ne peut pas faire abstraction de ce qu’il détruit, ne manquant jamais de nous livrer ses réflexions (« il restera à l’homme juste assez de phosphore pour fabriquer des boites d’allumettes et juste assez de fer pour forger le clou d’un pendu ») ou de comparer les figures de l’histoire, avec une saine irrévérence (« Jésus était toujours en proie à une suave extase et Lao-Tseu, plongé dans une mélancolie profonde »). C’est un livre qui se lit vite mais se réfléchit au long cours, parce que l histoire de ce taulier amoureux d’une tzigane cache beaucoup de thèmes importants : l’absurdité du système socialiste, la critique du modernisme, le devoir de mémoire et l’holocauste, entre massacre des souris (inspiration d’Art Spiegelman ?) et suppression cathartique de tous les ouvrages (réponse à l’autodafé) contemporains de l’occupation nazie.
Bilan : 🌹🌹