Le gardien
De Charles A. Morgan, on sait seulement qu’il avait élaboré un tas de théories sur le rapport de l’homme à l’objet (« Il avait sa méthode pour déchiffrer les relations cachées entre les choses dans un monde apparemment dénué de sens »). Son livre, « Stuff », en est le témoin tout comme sa demeure devenue musée et sanctuaire pour ses admirateurs. Le docteur Morgan, un iconoclaste fantasque qui toute sa vie accumula et dont l’auteur finit par nous expliquer la lubie : « Ce qui est à l’origine de la vénération du docteur pour les objets, ce sont les particules d’histoire, uniques et inaltérées, qui se trouvent à l’intérieur de chacun d’eux, du plus humble trombone au plus rare et irremplaçable des trésors ».
Le début du livre rappelle un peu le palais de Xanadu dans Citizen Kane, avec son amoncellement d’objets dont l’enquêteur s’évertue, en vain, à percer les mystères. Mais dans son livre, Doon Arbus laisse peu d’indices. Ni Rosebud, ni récit de la vie de Morgan qui nous permettrait de mieux comprendre sa trajectoire. Ce dernier n’est pas le véritable protagoniste. Le héros (d’où le titre) est le gardien du temple, un disciple qui n’a eu de cesse d’épouser la pensée du Docteur, de singer son comportement, d’imiter son écriture, voire de repousser les limites de ses concepts. C’est ainsi qu’il oblige les visiteurs à se débarrasser d’un objet qui leur est cher en leur expliquant que cet objet, après leur mort, sera la seule trace tangible de leur passage sur terre. Derrière l’obsession de l’empreinte affleure la folie : « c’est à cela que servent les cicatrices, ajoute-t-il. Et les amputations. Elles vous empêchent de nier le fait que quelque chose s’est vraiment produit, quelque chose qui ne meut être défait ».
Morgan et le gardien (l’auteur les survole) sont des prétextes. Les vrais sujets de ce livre atypique, à l’écriture souvent pesante, sont l’art et la postérité.
Bilan : 🌹