Karoo
Karoo est un bijou de 600 pages à découvrir absolument. Saul Karoo, le protagoniste qui donne son nom au livre, est un scénariste talentueux qu’un producteur peu scrupuleux (on ne peut s’empêcher de penser à Harvey Weinstein) utilise afin de détricoter les films qu’il juge inaboutis, c’est-à-dire, sans avenir commercial. Le chef d’œuvre d’un vieux cinéaste tombe entre les mains de Saul. Coïncidence, le (petit) rôle de la serveuse romantique y est joué par la mère du garçon que Saul avait adopté (elle avait 14 ans à l’époque…). Saul Karoo récupère les scènes coupées où elle apparaît et, pour la mettre en valeur, transforme un mélodrame puissant en une comédie légère. À cet égard, le récit de son travail de déconstruction est fascinant (pages 300 à 305). Saul Karoo fait et défait les histoires, au point de ne plus savoir ce qui relève de la fiction ou de sa réalité. Miné par des soucis de santé peu ordinaires (dont son hilarante impossibilité à s’enivrer), martyrisé par son ex-femme qui lui reproche, entre autres, de se désintéresser de son fils adoptif, Saul se meut en démiurge et en pygmalion. Il y a du Faust dans cette histoire car influencer la vie de son prochain au point de vouloir la changer fait de lui un mauvais génie. Malgré lui. Ses intentions sont bonnes, et l’enfer en est pavé, au bout de sa quête de rédemption. Saul Karoo est un personnage attachant, un loser magnifique doublé d’un manipulateur qui s’ignore, dans l’incapacité de vaincre une culpabilité qui le suit comme son ombre. Karoo est un roman virtuose, moderne, cynique, subtile dans son utilisation à peine dissimulée des plus grands mythes de notre histoire, dont celui d’Ulysse qui ponctue merveilleusement le récit.
Bilan : 🌹🌹