Ce qui est monstrueux est normal
C’est un peu comme si Céline Lapertot vous invitait à une projection privée, en super 8. Elle projette les images de sa vie et au début, c’est mignon, nostalgique, un peu laborieux, une ritournelle, et puis les premières fausses notes arrivent quand son beau-père apparaît. Avec lui, surgissent l’alcool, la précarité, le malaise, et bientôt l’impensable… Le récit change de registre, sans entracte pour se préparer au choc qui va suivre. Son malheur saisit à la gorge au détour d’une description anodine, sans crier gare. L’auteure utilise la fiction pour tenir le monstre à distance. La littérature sert aussi à ça : à se protéger des bassesses de la vie. Les pages 42 à 49 sont extraordinaires de lucidité et d’intensité. Pour évoquer l’abus dont elle est victime, Céline Lapertot suggère là où d’autres (ex : Angot) auraient choisi de surexposer les faits. Elle ne cherche pas à montrer pour démontrer. Mais elle n’élude jamais la douleur, l’ambiguïté de ses sentiments, cette quête d’amour qui ne peut s’accommoder du viol « … parce que l’enfant réclame de la tendresse et qu’à la place, on lui donne du sexe ». C’est d’ailleurs une question récurrente dans le livre : comment la littérature permet-elle d’exorciser l’horreur d’une existence passée (les mots contre les maux) ? Doit-on y associer les lecteurs (p50-51) ? Passée l’évocation de son martyr, commence un autre livre (tout aussi passionnant) dans lequel l’auteure affirme que la DDASS l’a sauvée, que sa famille d’adoption lui a redonné le goût de la vie, que l’amour est étranger à l’ADN (sa mère biologique et son silence coupable…) et qu’à ce titre, l’administration fait souvent des conneries. Céline Lapertot aurait pu mal finir mais son innocence brisée lui a donné, paradoxalement, « le trésor des rois (…) une capacité infinie de rebondissement ». Voilà l’exemple (si rare !) d’un récit autobiographique qui vaut la peine d’être lu : le récit bouleversant d’une renaissance.
Bilan : 🌹🌹