L'enfer
J’aime les philosophes qui écrivent des romans (ex : Jérôme Ferrari, Tristan Garcia), parce qu’ils donnent à penser. Gaspard Koenig ne déçoit pas.
L’enfer de Koenig n’est pas un chaudron bouillant que les pauvres âmes tentent de fuir en échappant aux coups de fourche de diablotins à la Jérôme Bosch. Non, il ressemble plutôt à ce que certains vivants appelleraient le paradis : un terrain de jeux permanent, un espace de consommation illimité, des ressources financières inépuisables, des désirs qui deviennent des ordres (« C’était la fin des malentendus, des lenteurs, des frictions, de tous ces résidus d’humanité que les économistes appellent coûts de transaction »).
Dans ce village global, la langue est universelle et les algorithmes régissent le quotidien, veillant à ce qu’un immortel ne rencontre jamais deux fois son prochain. Dès lors, la socialisation est abolie au profit de l’anonymat des foules. On boit sans se saouler, on copule sans orgasme… On vous administre la félicité en supposant que la fin de la quête suffit à sa complétude (« je prenais le rythme du Marché, entraîné dans une course sans fatigue, sans manque, sans douleur »).
Le héros damné s’interroge à mesure que la routine s’installe. À quoi bon lui dit-on ? « La conscience, c’est un truc de vivant pour se pourrir la vie ». Il en vient à envier l’innocence animale : « Ce que j’apprécie particulièrement chez le mouton, c’est son absence de curiosité. On pourrait le mettre au milieu d’un stade de foot, il continuerait à brouter comme si de rien n’était ».
Ce livre est une puissante critique de la société de consommation et du bonheur artificiel qu’elle nous vend. Gaspard Koenig nous prévient : pas de beauté sans cicatrice, pas de jouissance sans résistance, pas de plaisir sans frustration, pas de liberté sans contrainte, pas de surprise sans ennui.
Bilan :🌹🌹